
Se reconnecter au vivant
Résumé
Cette conférence-débat, organisée en collaboration avec Le Quinzième Jour, magazine de l’ULiège, en rebond à l’article paru dans l’édition septembre-décembre 2024 (à lire ici) et en partenariat avec les Serres du Jardin Botanique, avait pour thématique la relation avec le vivant et la protection de la biodiversité. Cette préoccupation commune à l’humanité et primordiale est pourtant loin d’être traitée comme telle ; que ce soit par les médias ou par les politiques. On peut même dire que la place qui lui est donnée dans le débat public est inversement proportionnelle à son importance réelle et ce décalage entre les discours et les actes est illustré au quotidien.
Nos deux orateurs, Christine Frison, Professeure de Recherche en droit international de l’environnement (Faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie - ULiège), et Grégory Mahy, Professeur Ordinaire et responsable de l’Unité de Recherche biodiversité et paysage (Gembloux Agro-Bio Tech - ULiège) partagent ce constat de déconnexion entre l’humain et le monde vivant et ont abordé ce thème, avec leurs points de vue respectifs, au travers d’un dialogue autour de quelques questions essentielles, sous la modération de Ariane Luppens, journaliste.
1. Se reconnecter au vivant sous-entend que nous en sommes déconnectés. De quelle manière se manifeste cette déconnexion, d’après vous ?
CF partage ce constat ahurissant : dans les jeunes adolescent de la région bruxelloise qu’elle rencontre, moins de 10% ont déjà été se promener dans les forêts et dans le champs. Ces enfants n’ont donc aucune idée du vivant et du fait qu’ils en font partie. Remédier à cette déconnexion depuis le plus jeune âge, doit être, selon elle, une priorité de nos gouvernants.
GM raconte que après le Covid, lors d’une balade avec ses enfants adolescents, il avait pris conscience que ces derniers n’avaient pas été baignés, contrairement à lui, dans le « care » du vivant et ne savaient, par exemples pas reconnaître un chêne. Il constate donc qu’il y a un manque de transmission assez généralisé vers les nouvelles générations. Il parle également d’une déconnexion cognitive complète dans les institutions universitaires où les études montrent l’effondrement de la biodiversité et l’écart avec les formations où il n’y a aucune remise en cause de ces aspects.
La vie en milieu urbain et la planification urbanistique participent aussi à cette déconnexion. On ne réfléchit pas à des environnements qui intègrent le vivant, il n’y a pas d’approche intégrative. Et de plaider pour une vraie (r)évolution dans le milieu de la panification territoriale (droit, architecture...). On n’y parle en effet pas du vivant, mais on projette nos structures socio-économiques sur le vivant. Nous devons aller vers plus de connaissance de ce qu’est un système vivant.
Le système de densification urbaine et les modèles d’organisation du territoire sont à changer. Il faut renverser cette réflexion selon laquelle l’être humain est séparé de la nature. Le vivant est complexe et s’organise à une série d’échelles, il faut réfléchir les actions en fonction de ces échelles. Nous sommes un maillon, nous sommes la nature, souligne CF. Quand on comprend cela et qu’on le prend en considération, on est alors en capacité de développer une approche beaucoup plus holistique, ainsi que des politiques beaucoup plus intéressantes.
2. L’une des décisions les plus remarquables de la dernière COP sur la biodiversité est d’étendre les aires protégées sur terre et sur mer à 30% contre respectivement 17% et 8% actuellement. Mais là encore, vous dénoncez une logique très occidentale de rapport avec la nature. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
CF L’idée de créer des zones protégées sanctuaires renforce l’idée que nous sommes séparés de la nature et ne remet pas en question le fait que nous sommes responsables de la destruction de cette dernière. Venir cloisonner des zones est contre-productif.
C’est bien les interconnexions entre les humains et la nature qui créent la richesse de la biodiversité. Couper le lien n’a aucun sens. Le droit, plutôt que de s’intéresser à protéger des objets, devrait prendre soin de la relation entre les humains et le reste du vivant, aspect très peu envisagé aujourd’hui.
GM explique que cette stratégie est indispensable actuellement, selon lui, sinon tout va disparaître extrêmement rapidement. La limite à ces décisions est le statut de protection qui met à distance, en effet, l’humain. On parle d’ailleurs de loi de conservation de la nature et pas de loi du développement de la nature. Aussi, il souligne le seul statut existant en RW ; celui de réserve naturelle.
Recommandation de lecture : « L’invention du colonialisme vert » de Guillaume Blanc.
3. « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » disait Camus. Or, il y a tout un vocable qui est rentré dans le langage courant, qui sonne bien, qui délivre un message positif mais qui est hautement critiquable, d’après vous, et qui participe au final à cette déconnexion avec le vivant. Prenons quelques exemples de termes bien connus tels que « le développement durable »,», « le droit de l’environnement », la « technologie »…
Prenons déjà la notion de « développement durable », par exemple. Celle-ci se retrouve à la toute petite intersection des 3 ensembles que sont la société, l’environnement et l’économie et est représentative de la considération minime accordée à l’environnement. Cette notion largement véhiculée repose en réalité sur une pensée orientée développement socio-économique. Dans l’accord fédéral du Gouvernement wallon, les mots biodiversité et environnement apparaissent très peu dans les sections énergie, climat et biodiversité. Quand le mot climat apparaît il est associé fréquemment au terme croissance économique...
Ces mots sont donc vidés de l’essence même de leur signification de départ.
On n’agit pas, on reporte le problème à plus tard. Or l’urgence c’était il y a 50 ans quand on s’est rendu compte que notre façon de gérer détruisait la nature. Les enjeux économiques, sociaux et environnementaux sont mis sur le même pied d’égalité, on parle alors de durabilité faible, qui ne permet pas d’atteindre les objectifs.
Dans un concept de durabilité forte, les 3 cercles (société, environnement, économie) s’intègrent les uns dans les autres. Sans l’environnement, la société ne peut pas vivre à long terme ! Il faut changer de perspective et aller vers une autre interprétation, où il n’y aurait pas besoin d’équilibre entre la prise en compte des différents enjeux.
CF promeut le développement d’un droit écologique et qui vient nourrir les relations. Le droit de l’environnement, lui, est réactionnaire…
Quant à la technologie, le vivant n’en a pas eu besoin pour faire les choses (ex : panneaux solaires, séquençage génomique pour l’adaptation...) explique GM. C’est un constat qui est difficile à faire accepter ; il faut partir du vivant et s’en inspirer. Le vivant est complexe, imprévisible, la technologie ne va pas résoudre les problèmes. Il faut inventer d’autres modèles que ceux actuels
CF souligne aussi qu’il y a un lien avec une vision de ce qu’est la technologie et d’expliquer que dans nos sociétés, le slow-tech n’est pas reconnu et valorisé comme de la technologie.
4. Que faudrait-il faire selon vous pour être à nouveau connectés au vivant ? Je crois que vous insistez beaucoup l’un comme l’autre sur l’importance de l’éducation…
CF Comme nous l’avons dit, il y a très peu de vision holistique des interconnexions et échanges entre les éléments du vivant. CF rêve de pouvoir faire autrement ; donner cours en extérieur, faire travailler les étudiants les mains dans la terre ... pour que les jeunes adultes se reconnectent avec du « vert ». La mise en place de nouvelles façons d’évaluer les enseignements pour que les jeunes soient plus actifs serait également idéal. Hélas, tout cela semble actuellement difficile de par la conception de l’enseignement aujourd’hui qui ne favorise pas le relationnel entre humains, d’une part, et avec le vivant, d’autre part.
GM Quand on parle d’éducation, on parle de système normatif. Pour lui, il faudrait apprendre la connaissance des espèces animales et végétales de son écosystème, tout comme on apprend les maths ... On peut bien sûr le faire chacun à notre niveau, sans attendre que le système éducatif s’en charge. Il souligne également l’importance d’aller sur le terrain et de faire des choix pédagogiques qui permettent de renouer avec le sensible et de se laisser toucher au cœur.
Annonce
Cette rencontre est à présent complète. Si vous souhaitez être inscrit·e sur liste d'attente, veuillez envoyer un e-mail à info@liegecreative.be.
La protection de la biodiversité est reconnue comme une « préoccupation commune à l’humanité » depuis le sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992. Mais un monde sépare la théorie de la pratique.
Ce constat de déconnexion entre l’humain et le monde vivant est au cœur des préoccupations de Christine Frison, professeure de recherche en droit international de l’environnement et de Grégory Mahy, professeur en biodiversité, écosystème et paysage.
Avec leurs regards respectifs, ils soulèvent plusieurs questions essentielles :
L’effondrement de l’environnement est là, sous nos yeux. Pourquoi n’arrive-t-on pas à en saisir la mesure ? Comment travailler avec le vivant, et non contre lui ? Comment soutenir notre économie pour qu’elle ne soit plus extractiviste mais générative ? Quels éléments d’analyse apporter aux citoyens et citoyennes ? Quelles inspirations pour sortir de la « monoculture de l’esprit occidental » ? Comment reconnecter la jeunesse au vivant, maintenant - et pas dans « les générations futures » ?
Renouer avec le sensible, se laisser toucher au cœur, ressentir des électrochocs : Grégory Mahy et Christine Frison proposent d’aborder ces thèmes, sans réponses clé-sur-porte mais sans langue de bois non plus !
Avec l'intervention musicale de Marine Horbaczewski.
Cette rencontre est organisée en collaboration avec Le Quinzième Jour, magazine de l’ULiège en rebond à l’article paru dans l’édition septembre-décembre 2024 : à lire ici. L'échange sera modéré par la journaliste Ariane Luppens.
Une invitation, dans un échange convivial, à venir discuter avec des chercheurs et chercheuses.
→ Envie d’aborder certains aspects en particulier ? N’hésitez pas à poser vos questions en amont à l’adresse du magazine : lqj@uliege.be
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