Orateur(s)
Frédéric Naedenoen Chargé de Cours (HEC Liège, ULiège)
Dominique Maréchal Talent Manager (Prayon)
Geoffroy Jennes Ingénieur Digitalisation 4.0 (Safran Blades)
Dr Gaëtan Letesson Chef de Service de Médecine Nucléaire, Pôle Médical (Citadelle Hôpital)

Digitalisation et évolution des métiers : comment anticiper et accompagner

    Résumé

    La conférence a mis en lumière les défis et les stratégies d'adaptation liés à la digitalisation dans les entreprises et les organisations, sous l’angle des impacts « métiers » . Un panel rassemblant des témoignages issus d’environnements très contrastés, – allant de l'industrie chimique établie à une nouvelle usine 4.0, en passant par un hôpital – a partagé ses expériences en les croisant avec les observations issues du monde de la recherche.

    Dominique Maréchal (Talent Manager) s’est exprimée pour Prayon, leader mondial de la chimie des phosphates. Pour Prayon, une entreprise ancienne aux processus bien installés, la digitalisation est un élément crucial, tant dans les usines (automatisation) que dans toutes les fonctions (commerciale, finance, recherche). Face à l'évolution rapide des métiers, Prayon a décidé de mettre en place un accompagnement massif du personnel pour embarquer tous les membres, y compris ceux présents depuis des années.

    Cet accompagnement est centré sur la formation et la sensibilisation, visant à garantir l'employabilité des collaborateurs. Fait marquant, Dominique Maréchal a expliqué que chez Prayon, l'approche RH (l'accompagnement du changement) a précédé la définition de la stratégie digitale, une démarche inverse à ce qui est souvent observé. Le programme mis en place, nommé My Digital Skills, se concentre sur les fondamentaux numériques (IA, réseaux sociaux, cybersécurité, outils collaboratifs). La réflexion s'étend également à l'évolution des métiers existants, comme la maintenance ou le service client, en identifiant cinq grands domaines de compétences clés, dont l'adaptabilité et la  capacité à collaborer (soft skills), aptitudes considérées comme clés. Dominique Maréchal insiste sur la capacité à apprendre et à s'adapter plutôt que sur le fait de détenir spécifiquement des compétences numériques, car le rythme du changement est tel qu’il est impossible de prédire les besoins futurs. Elle insiste également sur l'importance de donner du sens aux projets, comme l'a prouvé la migration vers la nouvelle version de SAP, où le personnel a adhéré en comprenant le « what’s in it for me ».

    En contraste avec Prayon, Geoffroy Jennes, Ingénieur Digitalisation 4.0 chez Safran Blades, a présenté le cas d'une usine toute jeune (sortie de terre l’année dernière en Wallonie, en seulement deux ans), conçue dès le départ comme une entité 4.0 (robotisation avancée, collecte massive de données, intelligence artificielle). Safran Blades, qui produit des aubes de moteur d'avion au rythme d'une aube toutes les 20 secondes, a mis l'humain au cœur de ce modèle de production moderne. Le postulat de départ était intrinsèquement digital, ce qui a conditionné toutes les démarches RH et de qualification. Un défi majeur était de maintenir le sens du métier pour l’opérateur, en insistant sur le fait qu'il ne serait pas remplacé, mais qu'il piloterait l'outil pour assurer la performance et l'efficience. Geoffroy Jennes a souligné l'importance de la cocréation, impliquant les opérateurs dans la construction des outils digitaux avant même que l'usine ne soit opérationnelle, garantissant ainsi que le digital soit au service de la production et non l'inverse.

    Pour gérer l'équilibre entre la production et l'industrialisation, Safran Blades utilise des éléments symboliques clairs, comme des casquettes et des lumières de couleur (rouge pour la production à cadence, vert pour l'industrialisation et l'apprentissage), créant ainsi une forme de gamification qui rend l’environnement propice à l'état d'esprit requis. Il a aussi mis en avant l'importance d'un environnement où l'on a la liberté de prendre des initiatives et d'oser se tromper, car l’échec est une opportunité d’apprentissage.

    Le secteur de la santé, représenté par le Dr Gaëtan Letesson, Chef de Service de Médecine Nucléaire à l’Hôpital de la Citadelle, fait face à des contraintes différentes, notamment des situations financières tendues et une charge de travail conséquente pour le personnel médical et paramédical. L'introduction de la digitalisation, de l'IA et de la robotique est perçue comme une solution pour alléger ces processus. Gaëtan Letesson a plaidé pour une vision de la technologie qui "ré-humanise les soins" en déléguant des tâches aux systèmes numériques, permettant au personnel de se concentrer sur les patients. Cependant, l'introduction de ces technologies rencontre une forte résistance dans le milieu social et humain de l'hôpital, souvent due à la crainte et la méconnaissance. Pour surmonter cela, la Citadelle a créé un comité d’innovation très transversal incluant tous les corps de métier, afin d'assurer l'acceptation et l'intégration des systèmes. Une plateforme accessible à tous les travailleurs a également été mise en place pour centraliser les idées d'innovation, faisant des employés des acteurs de la décision plutôt que de simples exécutants. En milieu médical, si la compétence clinique reste le premier critère de recrutement, le Dr Letesson a souligné que la capacité à collaborer est essentielle. Il a mis en garde contre l'«effet Google Map», où la dépendance aux aides automatisées peut entraîner une perte de compétence critique, soulignant que la digitalisation doit s'accompagner d'une éducation permettant de s'en passer si nécessaire.

    Frédéric Naedenoen, Chargé de Cours à HEC Liège et chercheur au LENTIC (ULiège), a offert une perspective académique, soulignant le paradoxe de ces trois cas très spécifiques qui rencontrent pourtant des enjeux similaires. Le cœur du sujet réside dans l'évolution des compétences : les études montrent une re-configuration des métiers plutôt qu'une destruction massive d'emplois, même si la rapidité du développement de l'IA est source d'inquiétude. Il a affirmé que les compétences métiers restent très fortes et transversales. Plutôt que de rechercher uniquement des compétences digitales, il faut des professionnels dotés d'une appétence digitale et surtout d'une forte capacité d'adaptation et d'esprit critique. La digitalisation impose également une transversalité organisationnelle, brisant le fonctionnement en silo, car le coût des technologies et la nécessité d'articuler les fonctions rationalisent cette approche.

    Pour garantir l'efficience digitale, il est fondamental d'éviter le "trash in, trash out", ce qui nécessite d'anticiper la résistance au changement et de rassurer les travailleurs en leur montrant les bénéfices concrets (le "what's in it for me"). Frédéric Naedenoen insiste sur la distinction entre le sense giving (expliquer le sens) et le sense making (laisser les employés construire collectivement le sens de la transformation). Finalement, un bon moyen de créer du sens est d'accorder du temps à l'exploration. Si l'exploration est difficile à octroyer dans des environnements contraints comme l'hôpital, les managers devraient toujours essayer de donner de l'espace pour que les gens puissent créer, innover et s'adapter, un principe qui est au cœur de l'agilité et qui permet de canaliser  et stimuler la curiosité et l'esprit d'initiative des employés. 

    Ce compte-rendu a été rédigé avec l’aide de l’IA.

    Les organisations, tous secteurs confondus, sont aujourd’hui confrontées à un même défi, quels que soient leur taille, leur histoire ou leur niveau d’avancement technologique : il s’agit d’intégrer la digitalisation dans leurs métiers.

    De l’industrie chimique traditionnelle à l’usine 4.0 la plus avancée, en passant par les services hospitaliers; d’une activité déjà bien implantée et rodée vers une nouvelle activité « GreenField », les questions sont souvent similaires : comment anticiper les évolutions, intégrer les changements et accompagner le personnel ?

    Cette conférence réunira des acteurs aux réalités contrastées mais unis par une problématique commune : accompagner l'évolution des métiers.
    Car la transformation digitale est partout : rapide, transversale, parfois déroutante, source d’inquiétudes mais surtout porteuse d’opportunités.

    Cette rencontre-conférence reposera sur des partages de cas concrets. Elle mettra en lumière comment les compétences aujourd’hui tendent à se recomposer sous l’impact de la digitalisation, tout en soulignant l’importance de garder l’approche humaine au cœur du travail. Les pratiques de terrain seront enrichies par l’apport des observations du monde de la recherche, avec la contribution du LENTIC.


    Cette rencontre-conférence sera suivie, le 5 décembre (de 12h30 à 16h30), d’un Atelier « Transition vers l’Industrie 4.0 : comment construire le changement dans les PME industrielles ? ». 
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