Actionnariat salarié : regards croisés
Résumé
Nous nous intéressions ce midi à l’actionnariat salarié, un dispositif qui suscite un intérêt croissant dans un contexte économique en mutation.
Permettant d'associer les collaborateurs au capital d'une entreprise dans une perspective d'attraction, l’actionnariat salarié peut représenter un puissant levier de motivation ainsi que de fidélisation des talents, et potentiellement de facilitation de la transmission à moyen terme. Cependant, comme l'explique Sabine Colson, Senior Investment Manager Expert MBO (Wallonie Entreprendre), au-delà des mécanismes juridiques et financiers, l'actionnariat salarié est avant tout une « aventure humaine », nécessitant la confiance, l'empathie et l'alignement d'intérêt. Ce n'est pas une fin en soi, mais un élément qui devient naturel lorsque l'entreprise pratique déjà une gestion collaborative.
Les objectifs d'un tel dispositif sont variés, incluant l'attraction et la rétention, la transmission de tout ou partie des actions de l’entreprise aux travailleurs, l'optimisation fiscale, ou l'amélioration des paramètres d’analyse non-financière de l’entreprise (ESG). Sabine Colson identifie trois grandes dimensions qui peuvent déclencher cette démarche: la dimension économique (besoins de financement lors de la croissance), la dimension humaine (la vision des fondateurs ou l'ancrage des valeurs), et la dimension stratégique (opportunité de marché, fédération d'équipes, ou défense contre une OPA ou encore pour ancrer une gouvernance participative). Quelle que soit la taille ou le secteur, ce modèle est possible. L'entrepreneur doit trouver le bon tempo, se situant entre la raison et l'émotion, sachant qu'il n'est jamais vraiment prêt, mais que le projet vivra et sera réinventé. Néanmoins, une préparation en amont est cruciale pour éviter les frustrations, notamment en définissant clairement le pourcentage de capital ouvert et la gouvernance, avant d'en parler aux collaborateurs.
Roman Aydogdu, Chargé de Cours (Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie, Dpt de Droit, ULiège), aborde la complexité des choix juridiques et structurels, insistant sur la multiplicité des expériences, allant d'un modèle de possession 100% en cogestion exclusive avec des coopérateurs actionnaires à la participation financière de travailleurs-actionnaires d’une société cotée en bourse, révélant ainsi un large spectre entre la possession et la simple participation financière.
Les 9 questions fondamentales que tout entrepreneur doit se poser :
- Opération "one shot" ou opération récurrente
- Acquisition immédiate ou différée de la qualité d’actionnaire
- Pourcentage de participation réservé au personnel (corrélé au partage du pouvoir également)
- Droits liés aux actions. Impossible d’avoir des actions sans dividende, mais c’est possible d’avoir des actions sans droit de vote. 1000 possibilités d’associations aux prises de décision
- Acquisition en direct ou via une structure d’acquisition regroupant le personnel
- Hauteur de l’investissement financier du personnel
- Conditions à satisfaire pour acquérir la qualité d’actionnaire
- Les conditions à satisfaire pour conserver la qualité d’actionnaire
- Cessibilité des actions
Retenons notamment, concernant la gouvernance, que Roman Aydogdu précise qu'il est impossible d'avoir des actions sans droit de participer aux bénéfices, mais qu'il est parfaitement possible d'avoir des actions sans droit de vote, le système étant très libéralisé. L'association au pouvoir de décision peut varier de l'absence de droit de vote à la codécision. On peut également assurer la représentation des actionnaires salariés au conseil d'administration, ce qui leur permet d'avoir de l'information et de donner leur avis, ou leur accorder un droit de veto sur certains points. Pour organiser l'expression collective des actionnaires salariés, notamment lorsque le nombre de personnes associées est grand (40 ou 50), il est souvent pragmatique de les structurer dans une société holding ou un « pool d'actions salariées » qui sera l'actionnaire de l'entreprise. Cette holding soulève de nouvelles questions sur sa propre gouvernance et sa santé financière.
La question de l'apport financier personnel est cruciale. Les salariés peuvent recevoir certains droits gratuitement (comme le droit de souscription) ou céder des actions à titre onéreux. Sabine Colson insiste sur le fait qu'il doit y avoir une « douleur associée » ou un risque, car si l'action est reçue gratuitement, « ça n'a pas de prix ». Roman Aydogdu ajoute que, si le titre est onéreux, le paiement peut être échelonné, éventuellement financé par les remontées de dividendes, pour éviter que le travailleur n'ait à emprunter. Il souligne au passage que le terme « actionnariat salarié » est un pieu mensonge, car ces mécanismes sont souvent destinés aux membres du management (y compris indépendants). Et d’insister sur le fait qu’il est fondamental de fixer dès le départ les conditions de sortie, qui doivent être claires pour des raisons de gestion et pour permettre aux actionnaires de mobiliser cette épargne (y compris en cas de décès ou de besoin de liquidité).
Ces observations théoriques ont été ensuite illustrés par deux retours d'expérience. Chez Accent Languages (entreprise de formation en langues basée à Liège, comptant 10 personnes en interne et 60 formateurs externes), l’élément déclencheur pour adopter un actionnariat salarié a été un souci de transmission du management, après 30 ans. Michel Demonceau, le fondateur, souhaitait assurer la pérennisation de l'activité liégeoise et éviter une extinction de celle-ci en cas de rachat par un concurrent. Céline Kips, la directrice opérationnelle, précise qu' Accent Languages a fait le choix d'ouvrir le capital non seulement aux collaborateurs internes mais aussi à l'ensemble des formateurs indépendants, considérant toute personne qui est « facteur » de l'entreprise. Leur gouvernance, encore en cours de finalisation, prévoit un conseil élargi incluant des actionnaires salariés, des non-actionnaires, et des personnes externes pour garantir l'intelligence collective et le challenge.
Céline Kips souligne l’importance capitale d’une bonne vulgarisation de la démarche et la nécessité d’user de pédagogie pour expliquer le projet. En effet, il a fallu notamment faire face à une certaine méfiance initiale des collègues, qui craignaient que le projet ne cache un problème de trésorerie.
L'expérience du Bureau Greisch, présentée par Luc Demortier, son directeur Pôle Bâtiments, est plus ancienne et complexe. Pour cette société d'ingénierie qui existe depuis plus de 65 ans, l’objectif de l'actionnariat salarié est la pérennité de l'entreprise afin de s'assurer que la société soit « non rachetable », car la valeur de l'entreprise réside dans ses employés, ses « cerveaux ». De quatre actionnaires principaux, le Bureau Greisch est passé à plus de 170 actionnaires aujourd'hui. Ils ont utilisé tous les mécanismes possibles, y compris des actions sans dividende ou des actions à prix immuable. La gouvernance actuelle est horizontale, huit personnes au comité de direction et conseil d'administration se partageant les mêmes droits, éliminant la figure du patron unique afin de mutualiser la prise de décision et la charge mentale. Les principales difficultés actuelles résident dans la gestion de la croissance historique (l'attente du « toujours plus », un concept qui n’est aujourd’hui plus tenable) et l'évolution permanente des contextes fiscaux.
Ce compte-rendu a été rédigé avec l’aide de l’IA.
Annonce
Dans un contexte économique en mutation, l’actionnariat salarié suscite un intérêt croissant. Entre engagement collaboratif, fidélisation des talents et transmission d’entreprise, ce mécanisme soulève de nombreuses questions juridiques, managériales et entrepreneuriales.
Comment mettre en place concrètement l’actionnariat salarié dans son entreprise ? Quel est le cadre juridique propice à l’actionnariat salarié ? Quels sont les mécanismes de gouvernance liés à la participation des salariés au capital ? Quels impacts au sein de l'entreprise ?
Lors de cette rencontre-conférence, trois intervenants apporteront leur éclairage en s’appuyant sur un projet déjà concrétisé, notamment celui mené par l'entreprise Greisch.
