Vers une prescription durable : repenser l’impact des médicaments
Résumé
Dans le cadre de notre cycle de conférences, en collaboration avec le CHU, dédié aux « défis en santé », la rencontre d'aujourd'hui s'est concentrée spécifiquement sur la prescription durable, faisant suite à une précédente conférence en octobre sur la réduction des déchets.
Marie-Céline Jamoye (Responsable du Développement Durable et Conseillère Attachée au Conseil Médical, Groupe Santé CHC) a débuté en rappelant l'impact du secteur de la santé sur l'environnement et le climat, et l'impact inverse du changement climatique sur la santé.
Le secteur des soins repose sur un vaste système techno-industriel qui est un consommateur massif d'énergie et de matériaux, entraînant l'émission d'une quantité importante de gaz à effet de serre (GES). À l'échelle mondiale, le secteur de la santé a une empreinte deux fois supérieure à celle de l'aviation. En Belgique, on estime que les soins de santé représentent 5 à 8 % de l'empreinte carbone nationale. L'objectif n'est pas de revenir à une médecine sans carbone, mais de réduire l'empreinte environnementale tout en maintenant la qualité des soins.
L'analyse du bilan carbone du secteur de la santé, réalisée notamment par le Shift Project, montre que l'élément qui pèse le plus lourd dans l'empreinte globale est lié aux soins eux-mêmes. Cela inclut les dispositifs médicaux (équipements, imagerie, dispositifs jetables) et, surtout, les médicaments. Cet impact est destiné à augmenter en raison du vieillissement de la population, de l'augmentation des maladies chroniques et du développement de traitements très énergivores (biothérapies, usages de dispositifs). L'analyse de l'industrie pharmaceutique révèle que, dans la production de médicaments, l'emballage ne représente que moins de 10 % des émissions globales. Le problème réside majoritairement dans la production des principes actifs (25 % de l'empreinte carbone), souvent fabriqués en Inde et en Chine où le mix énergétique est fortement carboné (charbon et pétrole). Le transport contribue également (9 %), 40 % de ces émissions provenant du fret aérien.
Les hôpitaux peuvent agir en réduisant le volume des médicaments prescrits, en intégrant des critères carbone dans les achats et en améliorant la logistique et la gestion de la fin de vie. En France, une méthode standard d'évaluation de l'impact carbone a été établie, ciblant 18 molécules principales pour lesquelles un potentiel de réduction est élevé. Outre le carbone, les médicaments ont d'autres impacts environnementaux, comme l'écotoxicité (indice PDT) et la présence d'excipients perturbateurs endocriniens.
François-Xavier Sibille (Médecin et Chercheur, CHU UCL Namur, UCLouvain) a pris le relais en soulignant que le contexte environnemental, en pleine mutation, influence déjà bien considérablement la santé et la prestation des soins. Relevons par ex la fréquence et l'intensité des vagues de chaleur qui ont augmenté considérablement : la fréquence est déjà huit fois supérieure à l'ère préindustrielle et pourrait atteindre près de 40 fois si la température globale augmente de 4 °C d'ici la fin du siècle. Ces épisodes ont entraîné un excès de mortalité de 61 000 personnes en Europe en 2022, touchant particulièrement les patients âgés, les enfants et les patients multimorbides/polymédicés.
Les soins de santé sont soumis à une "double contrainte carbone" : ils sont émetteurs de GES (et doivent donc participer à l'atténuation du réchauffement) et ils sont vulnérables aux ruptures d'approvisionnement (et doivent donc s'adapter). Le développement durable vise à maintenir la qualité des soins sans compromettre la capacité des générations futures à se soigner. Il est crucial de privilégier une transition choisie plutôt qu'une transition imposée.
La stratégie d'action repose d'abord sur « refuser et réduire ». Ne pas utiliser de médicament lorsque ce n'est pas nécessaire est l'approche la plus bénéfique, offrant des gains en empreinte carbone, économiques et en réduction des effets indésirables. La prescription inappropriée se divise en surprescription, sous-prescription et mauvaise prescription.
La surprescription est flagrante concernant les antibiotiques, notamment en Belgique, et l'utilisation d'aspirine en prévention primaire chez les patients âgés. Il est essentiel de mettre en avant les mesures non pharmacologiques, telles que l'alimentation et l'exercice physique. La prévention est également clé, par exemple, en faisant de la vaccination des sujets âgés une priorité nationale. Concernant la sous-prescription (absence de traitement ou de prévention indiquée, comme l'anticoagulation pour la fibrillation auriculaire), son évitement est essentiel car le traitement préventif est bien moins énergivore et coûteux que la gestion des complications. Pour dégager des fonds pour la durabilité, il est nécessaire de créer des marges en évitant la surprescription et en misant sur la prévention. Des exemples de pratiques plus durables incluent l'abandon des gaz anesthésiants à fort impact carbone et le choix de la bonne voie d'administration. L'empreinte carbone du paracétamol, par exemple, est nettement meilleure sous forme orale (PO) que sous forme intraveineuse (IV), et des gains significatifs peuvent être réalisés en privilégiant le switch IV-PO en périopératoire.
Un autre aspect de la prescription inadaptée est le risque de cascades médicamenteuses, où un médicament B est prescrit pour traiter l'effet indésirable du médicament A sans que cela soit identifié. Des listes d'outils existent pour faciliter la prescription appropriée.
Le Docteur Sybille a également évoqué la question de l'adhérence thérapeutique qui joue selon lui un rôle également cruciale, car de nombreux traitements chroniques sont rapidement abandonnés, menant à l'inefficacité ou à la surenchère thérapeutique. Deux questions simples peuvent aider à ouvrir la discussion sur l'adhérence : « Vous arrive-t-il d'oublier vos médicaments ? » et « Êtes-vous satisfait de vos médicaments ? ».
Enfin, la communication et la prise de décision partagée (SDM) sont fondamentales. La SDM, processus dans lequel le professionnel (expert des alternatives) et le patient (expert de ses valeurs et préférences) échangent pour parvenir à une décision éclairée et alignée avec les objectifs de vie, est particulièrement recommandée dans les maladies chroniques où les recommandations sont faibles ou les options multiples. La déprescription, qui consiste à réduire ou arrêter un médicament pour améliorer la qualité de vie du patient (selon le mantra less is more), est souvent un sujet de décision partagée.
Géraldine Paulus (Pharmacienne Clinicienne, Groupe Santé CHC) a conclu en détaillant le concept d'éco-prescription autour de quatre piliers : mieux prescrire, moins prescrire, limiter l'impact carbone, et limiter la contamination environnementale. Mieux prescrire implique de s'assurer du bon usage, en tenant compte de l'espérance de vie, de la qualité de vie, des souhaits du patient, de l'efficacité et du temps nécessaire pour obtenir un bénéfice (par exemple, éviter de prescrire une statine à un patient en soins palliatifs). Une liste de contrôle utilisée en pharmacie clinique permet de traquer les problèmes tels que l'absence d'indication, la redondance, le sous-traitement, la non-optimalité de la dose, les effets indésirables ou les interactions. Moins prescrire et déprescrire nécessite une réévaluation systématique de la balance bénéfice/risque. Il existe une part importante de médicaments inutiles, gaspillés ou substituables. La déprescription doit être une décision collégiale, expliquée au patient, et gérée progressivement si des risques de sevrage existent.
Les classes de médicaments les plus fréquemment visées par la déprescription sont les antidépresseurs, les antipsychotiques, les benzodiazépines, les statines, les IPP, et les opioïdes. Des outils comme les listes STOPP/START et les algorithmes de sevrage du CBIP sont disponibles. L'INAMI a mis en place un programme pérennisé de sevrage des benzodiazépines qui rembourse des préparations magistrales d'interdose pour permettre une diminution graduelle et concertée entre le pharmacien, le médecin traitant et le patient.
Pour limiter l'impact environnemental, il est possible d'intégrer le score carbone des médicaments (comme Ecobam en France) dans les marchés publics et de prendre en compte le Hazard Score (suédois) qui évalue l'écotoxicité aquatique et la bioaccumulation des molécules. Il est essentiel de sensibiliser les patients à l'importance de rapporter les médicaments non utilisés (périmés ou non) en pharmacie pour une destruction correcte, évitant ainsi leur rejet dans les déchets ménagers ou les toilettes. Au quotidien, l'éco-prescription implique de privilégier les formes orales sèches.
En conclusion, il faut constater que l'utilisation actuelle des médicaments n'est souhaitable ni pour le patient, ni pour la société, ni pour l'environnement. C’est particulièrement vrai en Belgique où le taux de prescription de certaines classes de médicaments (benzodiazépines, IPP, antidépresseurs) est très élevé. Les mesures d'éco-prescription ne sont pas seulement un changement, mais une amélioration pour le patient et la société, engendrant souvent des bénéfices croisés. Une prescription appropriée est celle qui traite de manière efficace et sûre, tout en maîtrisant les coûts économiques et environnementaux, et en respectant les préférences du patient.
Puisse la voix des soignants et des universitaires, qui bénéficie d'un haut niveau de confiance auprès du public, être un levier important pour initier ces changements…
Ce compte-rendu a été rédigé avec l’aide de l’IA.
Annonce
Comment concilier qualité des soins et responsabilité environnementale dans le domaine pharmaceutique ? Alors que les enjeux de durabilité s’imposent dans tous les secteurs, le monde de la santé interroge aujourd’hui ses pratiques, notamment en matière de prescription médicamenteuse.
Cette conférence propose une réflexion sur l’interdépendance entre santé humaine et environnement en partant de différents constats en lien avec les médicaments : pollution plastique, empreinte carbone, impact éco-toxicologique...
Les leviers d’une prescription plus appropriée seront ensuite abordés (revue médicamenteuse, déprescription, prise de décision partagée…). Des solutions concrètes et rapidement applicables seront abordées pour différentes classes médicamenteuses comme les sédatifs, antipsychotiques, antidiabétiques ou hypocholestérolémiants, prescrits principalement de manière chronique.
Lors de cette rencontre-conférence, des données issues de la recherche seront mises en dialogue avec des retours de terrain, dont celui du CHC Groupe Santé qui nous partagera ses actions en cours en matière d'écoprescription (sensibilisation, test en pharmacie…).
Cette rencontre fait partie d’un cycle de conférences co-organisées avec le CHU de Liège, consacré aux défis en santé.
Objectifs de Développement Durable
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