
Valorisation de la diversité culturelle en entreprise
Résumé
Le débat s'est articulé autour de l'intégration de la diversité, des valeurs d'entreprise et des défis sociétaux liés à ces enjeux, avec les témoignages concrets d'Olivier Douxchamps, directeur d'usine chez Knauf Insulation à Visé, d'Emilie Lembrée, coordinatrice d'Interra, et les réflexions de Marco Martiniello, professeur et directeur du CEDEM à l'ULiège.
Olivier Douxchamps a d'abord présenté Knauf Insulation, une division du groupe familial international Knauf, spécialisé dans les matériaux de construction et employant 42 000 personnes dans le monde. L'usine de Visé, qui fait partie de la division isolation (laine de verre, de roche et de bois), est le plus grand site de production du groupe en terme de capacité et de personnel, et abrite le siège social de Knauf Insulation. L'entreprise est engagée dans une démarche de durabilité, notamment via des toitures photovoltaïques, et a reçu le prix "Factory of the Future", qui met en avant 7 piliers dont des piliers de transformation incluant l'humain et la diversité. Olivier Douxchamps a souligné l'importance des valeurs de Knauf, transmises par la famille fondatrice : l'esprit d'entreprendre, le partenariat, l'engagement et la « Menschlichkeit », qui englobe le respect, la diversité et l'inclusion. Ces valeurs ne sont pas de façade, mais intégrées dans l'ADN de l'entreprise, influençant les évaluations annuelles, les bonus et le recrutement basé sur le « savoir-être » (soft skills) plutôt que la seule compétence technique.
En matière de diversité, Olivier Douxchamps a détaillé plusieurs initiatives. Pour la diversité des genres, l'entreprise, bien qu'évoluant dans un secteur industriel traditionnellement masculin, s'efforce d'attirer les femmes, notamment dans les métiers techniques. Des femmes ont été recrutées en maintenance et production, nécessitant des adaptations comme la construction de douches dédiées. Cependant, les candidatures féminines restent rares pour les postes d'opérateurs de production. La diversité liée au handicap s'est avérée complexe à gérer directement en usine pour les opérateurs. L'entreprise a donc opté pour des partenariats avec des sociétés de travail adapté, comme ATE ou Val du Gers, qui effectuent des tâches spécifiques (nettoyage, réparation de palettes) sur site.
Concernant la diversité ethnique, l'usine, qui a peu de turnover, a vu une vague de départs à la retraite d'anciens opérateurs, ce qui a permis d'engager une centaine de jeunes sur les cinq dernières années. Ce recrutement s'est fait de manière proactive en faveur de la diversité ethnique présente dans la région. Olivier Douxchamps a témoigné que cette diversité est une force et un atout très positif, bien qu'elle ait nécessité une adaptation et des explications au sein de l'entreprise, notamment pour gérer les chocs culturels. Il a rapporté des défis initiaux, comme des cas de racisme ayant conduit à des licenciements pour non-respect des valeurs. L'entreprise a dû faire des choix clairs pour montrer les valeurs de la diversité. Des ajustements culturels ont été nécessaires, comme prendre en compte les fêtes religieuses (ex: Ramadan) lors de l'organisation d'activités, ou gérer des situations délicates comme un travailleur refusant de saluer les femmes. Dans ce dernier cas, la problématique a été gérée avec la délégation syndicale, prônant la neutralité et le respect mutuel, montrant l'importance d'inclure les représentants des travailleurs dans la démarche d'intégration. Un autre défi est la différence culturelle des parcours de vie, illustrée par le départ d'un travailleur très engagé pour s'occuper de ses parents, une problématique "culturelle" peu courante en Belgique. Malgré ces défis quotidiens, Olivier Douxchamps insiste sur la nécessité d'être ouvert et d'en discuter franchement. Il a cité l'exemple d'un jeune réfugié, Mohamed, venu seul d'Irak, engagé puis intégré avec succès grâce à un accompagnement pour l'apprentissage de la culture belge et de la langue française. Mohamed est un exemple d'engagement et de valeur du travail. L'entreprise collabore également avec des associations comme Live in color pour offrir des stages et des opportunités aux réfugiés. Des managers et représentants des travailleurs sont aussi issus de la diversité, montrant un engagement à tous les niveaux de l'entreprise. Pour Olivier Douxchamps, le manque d'efficacité immédiate de certains profils plus éloignés du marché du travail est un débat d'équité, qui pourrait nécessiter l'octroi de davantage de contrats à durée indéterminée (CDI) pour permettre une montée en compétences plus longue et soutenir l'intégration.
Emilie Lembrée a présenté Interra, une ASBL liégeoise qui œuvre à créer du lien entre les personnes migrantes et locales. Basée sur des recherches scientifiques, son approche vise à réduire les préjugés par la rencontre intergroupe et à valoriser les compétences de chacun. Interra mène quatre projets principaux :
- Interact: Ateliers collectifs quotidiens (sport, art, cuisine) gratuits et ouverts à tous, animés par des bénévoles locaux ou migrants, pour créer des contextes de rencontres propices au développement de réseaux essentiels (logement, amitiés, travail)
- Duo: Jumelages individuels entre un migrant et un local pendant six mois, visant la pratique linguistique, la découverte de la Belgique et la création de liens.
- Interlab: Le premier incubateur inclusif en Wallonie, qui accompagne les personnes migrantes désireuses de créer leur emploi en Belgique, mais qui rencontrent des difficultés spécifiques (équivalence de diplôme, accès à la gestion, langue). Cet accompagnement sur mesure inclut des rendez-vous individuels, des formations et du réseautage. Emilie Lembrée a cité l'exemple de Walid, un ancien professeur d'architecture algérien, devenu géomètre indépendant grâce à Interlab, illustrant le "gâchis de talents" lorsque des diplômes étrangers ne sont pas reconnus. Plus de la moitié des personnes accompagnées en 2024 (issues de 30 pays différents) sont titulaires au minimum d'un bachelier ou master de leur pays d'origine, et plus de la moitié sont des femmes, bousculant les stéréotypes. Beaucoup sont des demandeurs d'emploi qui, face aux difficultés de trouver un poste salarié, se tournent vers l'auto-création d'emploi. L'objectif n'est pas de pousser à l'entrepreneuriat à tout prix, mais de fournir les clés pour la "sortie positive", qu'il s'agisse de créer une entreprise, de trouver un emploi salarié ou de reprendre une formation.
- Formations à la communication interculturelle: Initialement développées en interne, elles sont de plus en plus sollicitées par les entreprises et services publics. Ces formations aident les participants à prendre conscience de leur propre culture et de celle des autres, favorisant une meilleure communication, moins de malentendus, plus de collaboration et un meilleur bien-être au travail.
Marco Martiniello a salué les initiatives d'Olivier Douxchamps et d'Emilie Lembrée, les considérant comme des exemples précieux d'engagement concret qui dépassent le simple discours et peuvent avoir un effet d'entraînement. Il a affirmé que les sociétés sont et seront de plus en plus diversifiées, une réalité démographique incontournable malgré certaines rhétoriques politiques. Marco Martiniello a insisté sur le fait que la présence de diversité ne signifie pas l'absence de discrimination, laquelle est, au contraire, croissante dans des domaines comme le logement, l'éducation et l'emploi. Il a critiqué les attaques contre les politiques de diversité, d'équité et d'inclusion (DEI), souvent qualifiées de "woke-isme", car elles sont contre-productives et mènent à un gaspillage de talents. L'exemple d'une chirurgienne étrangère ne pouvant pratiquer en Wallonie mais trouvant un emploi en Flandre illustre cette perte de ressources pour une région.
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Pour Marco Martiniello, la diversité apporte des bénéfices tangibles, non seulement en termes de bien-être, mais aussi de productivité et de profit économique pour les entreprises. La diversité en soi est une valeur, tout comme l'équité (assurer justice et égalité de traitement) et l'inclusion (donner une voix à tous les collaborateurs). Il a loué le rôle de médiation du délégué syndical dans la gestion des incompréhensions culturelles, ce qui permet de désamorcer les tensions. Il a également mentionné que des aménagements simples, comme la variété des options alimentaires, sont faciles à mettre en œuvre. Il a appelé à ce que les principes de DEI soient inscrits dans l'ADN de la société dans son ensemble, et a mis en garde contre un éloignement de ces valeurs, synonyme d'un éloignement de la démocratie. Selon lui, les politiques de DEI doivent être volontaires (non imposées par des quotas), concertées (co-créées avec les travailleurs et leurs représentants) et expliquées (pour éviter les malentendus et la désinformation). Les associations jouent un rôle clé dans ce dernier aspect. Il a suggéré la création d'un prix de la diversité intersectoriel en Belgique pour encourager les bonnes pratiques.
En conclusion, les échanges ont mis en lumière que la diversité n'est pas seulement une question de valeurs éthiques, mais une nécessité stratégique pour les entreprises et la société, face à une réalité démographique inéluctable. Elle requiert un engagement authentique de la direction, une collaboration avec les travailleurs et des politiques expliquées et volontaires pour mobiliser pleinement ce capital humain.