Santé et innovation territoriale : renforcer la résilience des soins primaires
Résumé
La rencontre de ce midi réunissait deux chercheuses en santé publique (UCLouvain et ULIège) autour d’une réflexion allant dans le sens d’une transformation du système des soins de santé au niveau territorial, en renforçant notamment les soins primaires.
Anne-Sophie Lambert, chercheuse en Organisation du Système de Santé (UCLouvain), a posé le cadre de la conférence en évoquant notre système de santé actuel. Ce dernier, principalement conçu en silos, est performant pour accompagner les situations individuelles, agissant de façon principalement curative et à la demande.
Elle a ensuite introduit une notion qui s’avère être centrale dans le système souhaité sur lequel travaillent les deux chercheuses : « Les bassins de vie ». Ceux-ci sont des territoires dans lesquels les personnes se déplacent pour des raisons sociales (aller au parc, faire du sport, aller à l’école) et économiques (faire ses courses, etc).
Cela peut être, par ex. un quartier en ville. Sur ce territoire, on trouve une diversité d’acteurs du social et des soins de santé de proximité (pharmacien, médecin généraliste, maison médicale, assistant social, infirmier en santé communautaire, maison de quartier, etc.). Ces acteurs de proximités sont appuyés dans l’accompagnement de situations spécifiques (sans-abrisme, santé mentale, précarité, soins palliatifs, maladies rares, etc) par une série de services et d’organisations qui accompagnent des situation spécifiques. Les hôpitaux viennent aussi en appui, pour ce qui demande notamment plus de technologie.
Or, ce système est actuellement sous tension suite à plusieurs facteurs : vieillissement de la population, pénurie des acteurs de la santé et du social, crises climatiques, crise de la santé mentale... Un grand nombre d’acteurs est donc nécessaire pour répondre à toutes les situations. Néanmoins, aucun acteur ne possède l’ensemble des connaissances, des compétences, des ressources et la légitimité pour apporter une réponse à l’ensemble de ces besoins. Les acteurs sont donc interdépendants et ont besoin de collaborer.
Aujourd’hui, on observe une certaine structuration par profession (cercle des pharmaciens par exemple), par maladies (comme le diabète) ou par secteurs (santé mentale par exemple). Cela a pour conséquence une multiplication importante des réseaux mais aussi un saupoudrage des ressources et une dilution des compétences.
Pour faire face à des situations de plus en plus complexes, nécessitant la collaboration entre plusieurs professions, il s’avère désormais essentiel de transformer le système. Pour ce faire, selon la systémique (réf : Donella Meadows), il ne s’agit pas de remplacer les éléments du système mais de modifier son objectif (sa fonction) et sa structure (les interactions entre les éléments du système).
L’ambition aujourd’hui est d’accompagner l’ensemble des besoins « social santé » d’une population vivant sur un territoire. Comment peut-on faire ? En réfléchissant sur base d’une organisation territoriale. Ainsi, les acteurs actifs sur même territoire deviennent collectivement responsables de la santé des citoyens sur leur territoire. Cela permet de s’intéresser à la santé de façon beaucoup plus holistique et de remplir deux grands sous-objectifs : travailler sur les déterminants de la santé (environnements physique, socio-économique et social) et structurer des parcours complets pour accompagner des situations spécifiques.
On ne change pas les éléments du système mais on construit un système à partir de l’ensemble des acteurs social santé présents sur le territoire. Il y a deux grands ensembles d’acteurs : les généralistes et les spécialistes, chacun actif sur un territoire de taille différente, local pour les généralistes et locorégionale pour les spécialistes (suffisamment grande pour regrouper tous les services, comme les hôpitaux). Cependant l’échelle ne doit être trop large non plus pour comprendre les enjeux et priorités du territoire.
Il faut aussi changer les interactions et pour cela, penser des espaces de concertation et d’innovation, à échelle des bassins de vie et locorégionaux. Ces lieux ouverts visent une diversité des points de vue, avec pour but de permettre la collaboration entre les acteurs, renforcer l’interconnaissance, identifier les blocages…
En Belgique, cela fait plusieurs années que des changements dans le système de soin sont en cours mais ils se concentrent surtout sur l’approche ciblée. A l’heure actuelle, l’ancrage dans les bassins de vie est encore à construire. Pour que le système fonctionne, il faut un équilibre entre les deux approches, à développer en parallèle.
Anne-Sophie Lambert a présenté les principaux enjeux de la transformation. Aujourd’hui, un sentiment de découragement est légitime car les compétences demandées ne font pas partie du cœur de métier et le changement demande d’y consacrer du temps. Il faut donc mettre en place une cellule d’appui au niveau de chaque territoire locorégional pour soutenir les acteurs social santé dans leurs missions collectives et développer un système apprenant.
Béatrice Scholtès, chercheuse en Soins Primaires (Faculté de Médecine, Sciences Cliniques, ULiège), a ensuite expliqué comment le modèle socio-écologique permet de rendre le système plus résilient et peut être appliqué aux soins primaires. Les systèmes socio-écologiques ont la capacité de s'auto-organiser, de s'adapter ou d'apprendre en réponse à des perturbations internes ou externes et à des conditions changeantes.
Si on souhaite que le système accompagne l’ensemble des besoins et puisse réagir en cas de choc, il est important de maintenir la diversité et la redondance qui existe déjà aujourd’hui (variété d’approches et de rôles). Un équilibre entre les différents acteurs et les rôles qu’ils peuvent jouer entre eux est aussi précieux. La clarté des rôles de chacun est indispensable en cas de chevauchement des mandats.
Béatrice Scholtès a ensuite abordé la gestion de la connectivité entre les différents acteurs et comment ils vont pouvoir travailler ensemble. Si on a trop de connectivité, on devient vulnérable. Une approche qui clarifie est nécessaire, comme le modèle de gouvernance polycentrique. Dans ce dernier, de multiples organes de gouvernance interagissent et sont autonomes pour élaborer et appliquer des règles dans un domaine politique et un territoire géographique spécifique. Ces organes de gouvernance interagissent horizontalement et sont emboîtés verticalement.
En conclusion, les soins primaires en Wallonie sont en pleine évolution. L'organisation de la région en différentes zones géographiques pourrait être un moyen de promouvoir une plus grande collaboration et une plus grande résilience (réforme proxisanté). Ce modèle pourrait être un moyen de soutenir ce changement et d'en mesurer l'évolution. Pour transformer le système, il reste à modifier comment les éléments interagissent mais il ne faut pas repartir de zéro.
Un temps de partage d’expériences a suivi les présentations. Le médecin Hubert Jamart a notamment partagé son expérience liée aux inondations à Trooz et comment les soins primaires se sont organisés dans cette situation de crise pour gérer les besoins de la population.
Annonce
Il est reconnu que dans les systèmes de santé qui reposent sur les soins primaires, les populations sont en meilleure santé, il y a moins d'inégalités en matière de santé et les dépenses de santé sont moins élevées.
Les soins primaires se situent à la frontière entre les situations de vies (aussi complexes soient-elles) des individus, des familles et des communautés, les soins de santé, la santé publique et les systèmes sociaux conçus pour les soutenir.
À l’occasion de cette rencontre-conférence, nous explorerons, à travers des présentations et des exemples de terrain, ce que sont les soins primaires et comment une approche territoriale peut contribuer à la résilience du système en reliant mieux les acteurs locaux.
La rencontre-conférence sera suivie, pour ceux qui le souhaitent, d’une heure d’atelier de réflexion Q&R (de 14h à 15h).