Oser la circularité dans les projets immobiliers

Nous nous sommes réunis au Val Benoît pour discuter de l’introduction des principes de circularité et d’écoconception dans les projets immobiliers.

Charlotte Dautremont, Dr. Architecte éco conseillère et Chercheuse postdoctorale à la Faculté d'Architecture, ULiège, a démarré la rencontre par la présentation d’une partie des résultats de sa recherche doctorale sur l’écoconception multidisciplinaire et collaborative en architecture.

A ce jour, bien qu’elle soit reconnue comme un référentiel sectoriel, au sein du secteur, l’architecture durable n’a pas de définition unanimement partagée. Pourtant, l’architecture, le secteur de la construction et le parc immobilier jouent un rôle important face aux enjeux sociétaux et environnementaux.

La Commission européenne a d’ailleurs proposé, en réponse à ces enjeux, une directive début des années 90, qui a été refondue en 2010 pour renforcer les exigences de la performance énergétique des bâtiments (PEB).

Dès l’implémentation de ces nouvelles normes, les questions de l’architecture durable vont s’articuler autour de l’énergie. Ainsi, après deux décennies, on peut faire le constat que la course à la PEB a entrainé une consommation fulgurante de nouveaux matériaux isolants, représentant aujourd’hui une part prédominante des flux de matières entrants et peu réemployables. Alors qu’aujourd’hui l’intention est portée sur la réduction des émissions carbone.

Or, selon Charlotte Dautremont, il est nécessaire de sortir de cette vision tunnel, orientée sur un enjeu unique, pour aborder les choses de façon systémique. Il s’agit d’appréhender les enjeux environnementaux / sociaux / économiques à travers leurs relations mutuelles.

Aussi, la chercheuse nous a expliqué ce qui différencie la conception de l’écoconception : la conception est définie comme la mise en forme intentionnelle de la matière, de l'énergie et du processus pour atteindre un objectif, tandis que l’écoconception transforme ces éléments à travers des procédés qui ne détériorent pas les écosystèmes mais s’en inspirent.

En écoconception, Charlotte Dautremont identifie 3 types d’outils /media (intellectuels, cognitifs et techniques) qui servent différents usages (spéculatifs, descriptifs, prescriptifs) pour atteindre une solution satisfaisante.

Les médias d’aide à l’écoconception étudiés par la chercheuse ont néanmoins leurs limites : ils ne permettent pas de s’organiser au niveau des équipes, de créer un référentiel commun...

Aujourd’hui la conception architecturale est de plus en plus digitalisée. Si autrefois, construire un bâtiment faisait intervenir quelques acteurs, aujourd’hui, les parties prenantes du projet sont de plus en plus nombreuses pour faire face à la complexité grandissante du processus de conception. Cette complexité, nécessitant une bonne communication et coordination, a engendré la création de nouvelles pratiques, dont le BIM, outil de gestion et de modélisation informatisée d’un bâtiment. Cependant, les différentes dimensions du BIM n’intègrent pas certains aspects liés à l’écoconception et l’économie circulaire. On peut donc questionner le BIM quant à son utilité dans des projets d’écoconception.

Charlotte Dautremont nous a ensuite présenté ses 3 méthodes de recherche ; enquête en ligne, exploration avec des entretiens d’architectes wallons et 1 recherche action dont voici quelques-uns des résultats :

• Faire intervenir les intentions durables au moment du lancement de projet, dès la programmation, est un élément-clé. Bien que les pratiques durables puissent concerner toutes les étapes d’un projet, celles-ci sont souvent accentuées lors de l’avant-projet et de l’élaboration du dossier d’exécution et mises entre parenthèses au moment de l’élaboration du permis de bâtir ;
• Les pratiques durables les plus souvent citées sont d'abord la prise en compte du cycle de vie des projets (avec une vision d’économie circulaire) et ensuite les systèmes, procédés et produits liés à la construction durable (matériaux innovants, bio-sourcés, recyclages, etc.). Par contre, d’autres notions ne sont jamais évoquées comme le bien-être, la biodiversité, la gestion de l’eau…

Pour conclure, la chercheuse nous a proposé de nouvelles pratiques, à 3 niveaux d’action :

• Macro (contexte réglementaire - changements sociétaux)
• Meso (concernent les pratiques du secteur, multidisciplinariser les enseignements)
• Micro (visent le projet et les équipes projets, proposer un média d’accompagnement à l’écoconception)

Maryse Degraen, Référent Transition & Circularité et Anne Dehoux, Coordinatrice de Projets, chez Spi, ont ensuite partagé leur expérience et expertise de terrain.

Tout d’abord, Maryse Degraen a souligné qu’il était important de savoir de quoi on parle quand on parle d’immobilier circulaire. Un bâtiment circulaire, c’est un bâtiment :

• flexible dans l’espace et dans le temps : plusieurs usages, plusieurs utilisateurs ;
• démontable et réversible (conception et principes constructifs) ;
• fait de matériaux nécessaires et issus du réemploi ou recyclés ou biosourcés ;
• sobre en énergie, eau, ressources (en termes de projet, chantier et exploitation) ;
• documenté (double digital, traçabilité de l’information) ;
• dont la maintenance, la transformation, la rénovation et la déconstruction sont facilitées et anticipées ;
• qui produit peu de déchets au niveau du chantier et de l’exploitation.

Au vu de cette définition, on peut donc considérer le bâtiment comme une banque de matériaux.

Aussi, il est important de savoir pourquoi on se lance dans l’immobilier circulaire : d’une part, pour diminuer la consommation de ressources, la production de déchets, les émissions en CO2 et l’impact sur les écosystèmes et, d’autre part, pour favoriser l’emploi qualifié et non délocalisable, et l’adaptabilité et la résilience des infrastructures.

Suite à un atelier qui s’est tenu en juin 2022, dans le cadre de la Quinzaine de la Circularité, Spi a émis 5 recommandations à l’attention des donneurs d’ordre :

• Une coordination « circularité » dès l’entame du projet (= un référent qui garantit et facilite la circularité) ;
• Une ambition circulaire claire et affirmée (= un cadre au sein duquel chacun peut y inscrire sa compétence, sa créativité et son savoir-faire) ;
• Une organisation orientée vers la coopération et un dialogue équilibré (= les conditions propices aux partenariats constructifs et équilibrés entre/intra acteurs publics et privés) ;
• Une aide à la mise en œuvre (= le soutien plutôt que le rapport de force, informer, donner des ressources, chercher avec) ;

• Un investissement et une vision sur l’ensemble du cycle de vie du projet (= prise de décision d’investissement + organisation du financement, sur base de l’ACV).

Spi est dans une démarche exploratoire de mise en œuvre de la circularité au travers de projets pilotes dans le secteur immobilier. Elle y teste l’approche sur différents enjeux (réglementaires, techniques, conceptifs, organisationnels, économiques…) et tente de capitaliser sur les succès et leçons tirées dans l’objectif de systématiser les pratiques.

Maryse Degraen a cité quelques exemples de projets pilotes en cours avant de faire un focus sur la réhabilitation de la friche industrielle urbaine des ACEC. Cette friche réunit, en effet, de par son implantation et son organisation, les conditions idéales pour mettre en œuvre les principes de circularité décrits par Charlotte Dautremont. C’est pourquoi elle réunit de nombreux projets pilotes du « portefeuille circulaire » de Spi. En plus d’être un bel exemple de projet de circularité, la multiplicité des propriétaires et occupants du site illustrent la nécessité de la collaboration et de raccorder tout le monde à une vision collective. C’est, dans ce cas, au travers d’un masterplan axé sur une mixité d’usages que la vision urbanistique du site a été exprimée. Et pour amener chaque acteur et occupant du site des ACEC à intégrer les principes de circularité dans son projet, un outil de communication et de conviction sur les ambitions de durabilité et de circularité du projet, le guide Greenlife, a été réalisé.

Anne Dehoux a ensuite présenté différents marchés passés pour ce site pilote, dans le cadre du Parc d’activités économiques OUTDOOR, notamment.

1^er marché de travaux : équipement du Parc d’activités économiques OUTDOOR dans une approche circulaire.
Circularité via l’imposition dans les clauses techniques (QUOI : matériaux recyclés ou biosourcés, composition de voirie... & COMMENT : démolition sélective, gestion des terres...).

2^ème marché de travaux : destruction des annexes dans une approche circulaire.
Circularité imposée dans le cahier spécial des charges travaux (déconstruction plutôt que démolition ou démolition sélective).

3^ème marché de travaux : reconstruction des façades dans une approche circulaire.
Nouveauté : procédure négociée directe avec publication préalable qui a suscité dialogue et coopération. Le soumissionnaire a été invité à faire des propositions techniques.

4^ème marché de travaux : réhabilitation circulaire de l’ancienne halle industrielle en parc d’activités économiques indoor.
Il s’agit du marché de service le plus circulaire chez Spi et reconnu en Wallonie.

Pour ce projet, les ambitions circulaires et le CSC ont été balisés, notamment, à l’aide de l’outil GRO qui permet de définir l’ambition durable sur un site ou une construction.

Pour clôturer, Maryse Degraen a émis quelques recommandations. Oser la circularité, c’est transformer son entreprise ou son organisation. C’est une opportunité de faire évoluer la culture de son entreprise, de recruter des collaborateurs dans cette guerre des talents, de favoriser l’innovation ainsi que la collaboration.

Quand on rentre en circularité il est donc important de :

• Avoir des raisons et motivations collectives et partagées
• Parler le même langage
• Documenter la démarche et la suivre
• Développer son réseau de « partenaires circulaires »
• Faire en allant – un seul lièvre à la fois – et de voir la difficulté comme une opportunité

Pour finir, plusieurs initiatives locales pour le réemploi des éléments de constructions ont été partagées.

Pour aller plus loin :

La thèse de Charlotte Dautremont est disponible ici.

Les recommandations de la Spi pour rendre l'immobilier public plus circulaire sont détaillées dans ce document.

Retrouvez ci-dessous les slides de la présentation :