Orateur(s)
Brigitte Malgrange Directrice de Recherches (FNRS & Fonds Assoc.)
Christel Pequeux Chargée de Cours (Faculté de Médecine, Dpt Sciences Biomédicales et Précliniques, GIGA, ULiège)
Stéphanie van Loo CEO - CTO (LiveDrop)

Les organoïdes, un modèle innovant pour la recherche pré-clinique

    Résumé

    L'utilisation des organoïdes comme modèles innovants pour la recherche biomédicale était au cœur des interventions de nos trois oratrices, chacune explorant des applications spécifiques et des solutions technologiques dans leurs recherches.

    Brigitte Malgrange, Directrice de Recherches FNRS & Fonds Associés, s'intéressant au domaine des surdités, a d'abord posé le contexte de ce problème de santé publique que représente la perte auditive. Cette pathologie, qui affecte environ 360 millions de personnes dans le monde, ne dispose, en effet, actuellement, d'aucun traitement médicamenteux. 

    Elle a distingué les trois types d'atteintes auditives : la surdité centrale (rare), la surdité de conduction (souvent traitable par remplacement de la chaîne ossiculaire), et la surdité neurosensorielle, qui constitue la majorité des problèmes d’audition. Cette dernière implique une atteinte de l'oreille interne, plus précisément de la cochlée, organe de l'audition. Les cellules clés sont les cellules ciliées et les neurones du ganglion spiral. Une destruction de ces cellules ou de leurs connexions synaptiques entraîne une perte auditive, et ces cellules, comme celles du système nerveux central, ne se régénèrent pas. Les causes sont multiples, comprenant l'origine génétique (50%) et des causes acquises (vieillissement, trauma sonore, médicaments et infections). Brigitte Malgrange a insisté sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une seule maladie, mais des "surdités", nécessitant des traitements spécifiques en fonction du sous-type et du patient. 

    Face à l'absence de traitement pharmacologique et aux limites des modèles animaux (qui ne miment pas toujours la pathologie humaine en raison de différences dans la machinerie cellulaire), l'équipe de Brigitte Malgrange utilise désormais également des modèles innovants, notamment les organoïdes 3D dérivés de cellules souches humaines à pluripotence induite (hiPS). Ces cellules permettent de modéliser les surdités génétiques, de cribler des médicaments ou des molécules toxiques, et sont envisagées pour la médecine régénérative. Le protocole de différenciation pour obtenir des organoïdes de cochlée s'inspire du développement embryonnaire normal et est extrêmement long, prenant jusqu'à 150 jours. Malgré ces défis temporels et le fait que les structures obtenues ne soient pas exactement conformes à l'oreille interne humaine, les organoïdes montrent la formation de cellules ciliées, de neurones et, surtout, de connexions synaptiques, éléments cruciaux pour la transmission du son. Pour Brigitte Malgrange, les organoïdes 3D sont donc un modèle indispensable pour la recherche préclinique, bien que le protocole nécessite des améliorations, notamment en termes de qualité et de reproductibilité.

    Poursuivant l'exploration des organoïdes dans différents systèmes, Christel Pequeux, Chargée de Cours à la Faculté de Médecine, Dpt Sciences Biomédicales et Précliniques, GIGA, ULiège, a exposé les travaux de son laboratoire sur la glande mammaire et l'endomètre, en lien avec les œstrogènes. Ces hormones féminines fluctuent durant le cycle menstruel et chutent drastiquement à la ménopause. Les œstrogènes, dont le principal est l'œstradiol, sont essentiels pour la reproduction, préparant l'endomètre à l'implantation et la glande mammaire à l'allaitement. Ils ont également un rôle protecteur au niveau du cerveau, des os, du système cardiovasculaire, du métabolisme et de la peau. La chute des œstrogènes à la ménopause entraîne des symptômes invalidants et bien que des traitements hormonaux de la ménopause existent, ils posent un dilemme : les combinaisons œstro-progestatives, nécessaires pour bloquer l'effet prolifératif des œstrogènes sur l'endomètre (évitant ainsi un cancer de l'endomètre), sont associées à une augmentation du risque de cancer du sein. Le besoin de nouvelles formulations avec un meilleur rapport bénéfice/risque motive, ainsi, la recherche de modèles plus pertinents

    Pour étudier ces effets sur des tissus humains, Christel Pequeux a présenté le développement d'organoïdes à partir de glandes mammaires humaines (récupérées après mastectomie) et d'endomètre (via biopsies). Le protocole de préparation des organoïdes mammaires est délicat, nécessitant la suppression des cellules graisseuses et des fibroblastes, qui, sans contrôle, envahissent la culture. Ces organoïdes se développent en structures qui rappellent des mini-conduits et expriment les récepteurs aux œstrogènes, permettant ainsi des études fonctionnelles. Néanmoins, l'organisation structurelle n'est pas parfaite, présentant souvent des amas de cellules plutôt qu'une morphologie fidèle, un inconvénient partiellement contourné en réinjectant les organoïdes dans le coussin graisseux de souris immunodéficientes, où ils poursuivent un meilleur développement. Concernant l'endomètre, le modèle d'organoïde, développé à partir de biopsies de tissu normal, forme de belles petites sphères capables de sécréter du mucus. Ces organoïdes réagissent correctement aux stimuli hormonaux connus, validant leur pertinence pour tester de nouvelles molécules. Cependant, le modèle d'endomètre actuel manque de la composante des cellules stromales, un inconvénient que son équipe cherche à résoudre en co-cultivant les cellules épithéliales avec des cellules stromales dans la matrice de Matrigel. Christel Pequeux a souligné que ces modèles humains permettent de valider des mécanismes étudiés in vivo sur la souris.

    Face aux problèmes d'hétérogénéité et de reproductibilité mentionnés par Brigitte Malgrange et aux limites de structuration des modèles présentés par Christel Pequeux, Stéphanie van Loo, CEO et CTO de LiveDrop, a introduit technologie microfluidique des gouttes. LiveDrop, spin-off de l'Université de Liège, vise à rendre cette technologie, basée sur l'écoulement des fluides dans des microcanaux, accessible aux biologistes pour accélérer le développement de thérapies. La microfluidique des gouttes utilise le principe de l'émulsion (eau et huile inerte) pour former des gouttes très régulières et homogènes qui servent de micro-réservoirs. Ces gouttes, pouvant être produites à très haute vitesse (plus de 10 000 par seconde) dans une puce microfluidique, confinent les cellules dans des volumes très faibles (picolitres à nanolitres). L'avantage principal est la capacité à créer rapidement de très grandes quantités de mini-sphéroïdes ou des agrégats cellulaires très homogènes et compacts, avec un nombre de cellules reproductible, et en utilisant beaucoup moins de matériel. En seulement quelques minutes d'encapsulation sur la plateforme ModaflowTM et quelques heures d'incubation (4 à 48 heures), les cellules s'agrègent au fond des gouttes. Une fois agrégés, les sphéroïdes sont relargués des gouttes, et peuvent être redispersés un par un dans des plaques de culture par des robots dédiés. 

    Stéphanie van Loo a mis en avant que cette méthode simple et automatisée permet un débit très élevé (50 000 mini-sphéroïdes en moins de 2 minutes) et améliore la qualité de l'échantillon initial pour les expériences ultérieures de différenciation ou de criblage de drogues. Une collaboration avec le laboratoire de Brigitte Malgrange sur des cellules souches a montré des résultats prometteurs : les sphéroïdes générés par cette technologie semblaient mieux former les structures vésiculaires otiques et étaient plus homogènes par rapport à la méthode de culture classique. D'autres applications ont été illustrées, notamment la formation rapide d'agrégats d'iPSC pour la production de cellules souches hématopoïétiques (réduisant le temps de formation de 14 jours à 4 heures), ainsi que la création d’autres modèles de sphéroïdes spécifiques pour le cancer. 

    Ce compte-rendu a été rédigé avec l’aide de l’IA.
     

    Les organoïdes constituent des modèles biologiques tridimensionnels qui reproduisent fidèlement l’architecture et les fonctions des tissus humains. Leur utilisation permet d’étudier des processus physiologiques et pathologiques inaccessibles avec les cultures 2D ou les modèles animaux traditionnels.

    Par exemple, dans le cas de l’oreille interne, les organoïdes offrent une source précieuse de cellules ciliées pour explorer les mécanismes du développement et de la surdité. En ce qui concerne la glande mammaire ou l’endomètre, le développement d’organoïdes permet d’étudier les mécanismes d’action des hormones endogènes, de traitements hormonaux ou de perturbateurs endocriniens sur du tissu humain. Cependant, la variabilité de taille et de forme des sphéroïdes formés à l’étape initiale limite souvent la reproductibilité des expériences.

    Le recours à la microfluidique des gouttes permet de générer des sphéroïdes standardisés et homogènes, à très haut débit. Cette approche améliore la robustesse des résultats et facilite les comparaisons entre conditions expérimentales. Elle ouvre la voie à des criblages pharmacologiques plus fiables et représente une étape clé vers des applications cliniques et personnalisées.