Le capital-investissement est-il compatible avec des objectifs non-financiers ?
Résumé
Cette rencontre-conférence fut l’occasion d’aborder les liens entre les impacts sociaux, environnementaux et de gouvernance et la finance, et plus précisément les différentes formes de capital-investissement.
Elle a débuté par une introduction de Didier Mattivi, directeur de RISE (ULiège), qui a rappelé le rôle sociétal et les missions de l’Université de Liège, ainsi que celles de RISE. Didier Mattivi a souligné que l’innovation d’aujourd’hui se veut durable et que le levier économique est un levier important pour accélérer la transition.
Marie Lambert, professeure de Finance à HEC Liège (ULiège) a ensuite commencé son exposé par des éléments de jargon financier et de mise en contexte. Ainsi, le capital-investissement peut prendre plusieurs formes, en prenant soit des parts minoritaires dans des entreprises en développement (Venture capital) ou en croissance (Growth) ; soit le contrôle de l’entreprise avec un effet de levier, comme les fonds LBO - « leveraged buy-out » (Private Equity). Il est largement sous-estimé (peu de financement au niveau européen) mais il amène une création de valeurs qui dépasse la simple valeur monétaire de l’investissement.
Au cours de son exposé, Marie Lambert s’est focalisée sur l’impact social du capital-investissement/risque car il existe peu de données sur le côté environnemental, avec des résultats très mitigés. Elle a comparé le capital-risque (de type Venture) au capital investissement avec prise de contrôle (Private Equity).
Le capital-risque finance la croissance et l’innovation et joue un rôle important au sein des conseils d’entreprises, vecteur de changement. Cependant, concernant le financement public par capital-risque, la littérature est assez mitigée et pointe une réduction d’efficience et de gros doutes sur la capacité de ce type de financement à créer de la croissance. Du côté des ESG, il est difficile de mesurer l’impact du capital-risque. À part pour les fonds à orientation durable, on relève peu d’impact car cela ne fait pas partie des objectifs de la plupart des fonds. Il y a toutefois les entrepreneurs sociaux mais qui ne peuvent agir seuls qu’à un niveau micro.
Une étude sur la satisfaction en entreprises montre que les employés sont bien plus satisfaits quand ils sont dirigés par des Venture Capital. Certains éléments ressortent tels qu’un environnement innovant avec des gens « smart », une certaine croissance et un de travail qui est vrai lieu de vie.
Marie Lambert a ensuite expliqué ce qu’il en est pour le Private Equity, qui s’applique à des entreprises plu grandes, avec des transactions complexes. Lorsqu’un fonds acquiert une entreprise avec un effet de levier, cette entreprise doit rembourser sa dette et subit donc une certaine pression monétaire ainsi que des prises de décision de la part du fonds, qui joue un rôle (à rémunérer) au sein du comité de direction de l’entreprise. La logique derrière ce montage avec holding est donc avant tout une logique financière.
L’oratrice a souligné les effets positifs ; après l’acquisition d’un fond capital-investissement, les entreprises ont plus de chance d’améliorer leur croissance, leur rentabilité, la productivité totale de facteurs, l’activités de brevets, la qualité des résultats, leur pratique de gestion et l’accès aux financements externe (bancaires).
Pourtant la presse, qu’elle soit américaine ou européenne, est très critique à propos des impacts « sociaux » de ces fonds. Dans la littérature, 2 théories s’affrontent : celle d’une transaction plus efficiente via le Private Equity et celle qui soutient que la valeur créée par les parties prenantes est récupérée par les acteurs financiers (actionnaires).
Lorsqu’une entreprise est acquise par un fonds de Private Equity, plusieurs aspects sociaux positifs peuvent être relevés comme :
- Une augmentation des formations et de l’employabilité liées aux compétences en IT
- Une amélioration de la sécurité sur le lieu de travail
- Une réaffectation plus efficace de la main-d’œuvre
- Une meilleure hygiène alimentaire
- Une meilleure pratique de gestion
- Une réduction de l’écart salarial
Cependant, Marie Lambert a aussi insisté sur les forts impacts négatifs de ce type de capital-investissement :
- Sur l’emploi, avec une perte d'emplois (sauf pour ceux liés aux technologies de l'information)
- Sur les conditions de travail (stress) et la santé mentale
- Impliquant la rupture de contrats implicites, particulièrement dans certains secteurs tels que l'éducation ou les maisons de retraite où l’augmentation des bénéfices au détriment des soins de santé fournis, des étudiants… ; et pour les ouvriers et les employés avec le plus d’ancienneté.
En résumé, si l’on peut observer des améliorations en matière de gouvernance, le doute subsiste quant à l’impact positif sur les stakeholders et plus précisément sur les employés.
Marie Lambert a ensuite présenté des résultats d’une recherche menée à HEC Liège, qui se focalise sur le bien-être des employés et le capital-investissement. Les données exploitées ont donné des résultats très pertinents dont les principaux sont la perte de satisfaction des employés après une acquisition qui implique un changement de culture de Venture capital à Private Equity. Des impacts sociaux positifs (image de marque, branding et développement du réseau à l’international, stabilité financière) comme négatifs (ralentissement ou perte de croissance, impact sur l’équipe managériale et la gestion des ressources humaines, incertitude et insécurité au niveau de l’emploi) accompagnent ce type de changement.
En conclusion, Marie Lambert a insisté sur plusieurs points tels que :
- Les aspects sociaux souvent oubliés et la durabilité souvent associée exclusivement à l’environnement.
- Les marchés privés sont des marchés très “opaques” (peu d’études réalisées, peu d’informations sur la durabilité).
- Le capital-investissement entraîne généralement une meilleure gouvernance. Cependant, ce contrôle a un impact social/humain, en partie positif (amélioration des processus, de la formation des employés, de la sécurité au travail, …) mais aussi négatif sur la culture (logique de “profitabilité”), l’environnement de travail, et la gestion des ressources humaines.
- Il y a une très grande différence entre le VC et la prise de contrôle.
Douglas Geddes, Change & Impact, Executive Committee Advisor chez Noshaq, a commencé son exposé en passant rapidement en revue les chiffres et l’évolution de Noshaq, qui a investit dans près de 400 entreprises. Noshaq est conscient d’avoir une vraie responsabilité sociétale et de devoir accompagner la transition. Ils ont traduit cela dans leur dernière vision stratégique, qui met en avant le rôle sociétal qu’ils souhaitent avoir sur territoire et dans transition.
Noshaq investit dans une série de secteurs, à travers ses sociétés participées, qui sont soutenues par des piliers comme celui de l’Immo. Si la rentabilité reste d’actualité, l’accompagnement des entreprises pour remplir les considérations ESG rentre désormais en ligne de compte. Pour Noshaq, la transition doit venir de tous et tous doivent y contribuer, dans une perspective écosystémique.
Douglas Geddes a abordé la mise en place de la politique de transition de Noshaq, qui veut faire en sorte que son portefeuille d’entreprises soit majoritairement composé d’entreprises vertueuses (en contribuant à différents critères) dans les 5 ans. L’invest propose donc une feuille de route aux entreprises pour qu’elles puissent devenir plus vertueuses. Celle-ci prend la forme d’un référentiel construit sur les 3 piliers que sont les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Pour l’environnement, il ne s’agit pas de se concentrer uniquement sur le carbone mais de prendre aussi en compte l’économie des ressources, l’économie circulaire… ; et pour l’aspect social, celui-ci couvre le volet du bien-être au travail et l’intégration dans une économie et une communauté locales. Que ce soit pour le critère environnemental, social et de gouvernance, Noshaq cherche à faire réfléchir ses entreprises participées sur la manière dont elles pourraient aller plus loin dans leur démarches ESG, en leur posant des questions très pragmatiques.
Noshaq souhaite ainsi soutenir et accompagner des projets « solution » et des entreprises qui répondent à (ou contribuent à résoudre) certains des problèmes qui se posent dans notre société ; en développant des projets positifs en matière sociale, environnementale, ou en termes de gouvernance.
L’approche de Noshaq se structure autour de 4 axes :
- Investissement dans le local
- Sobriété (par exemple, travailler sur des process moins énergivores, low-tech, etc.)
- Développement (au-delà du développement économique)
- Engagement sur la chaîne de valeur totale
Pour parvenir à ses objectifs, Noshaq utilisent une liste d’exclusions de secteurs et de pratiques (dans lesquels l’invest ne souhaite plus investir comme l’armement…), qui filtre les dossiers à l’entrée, et un référentiel propre de critères, le « transi-score ». Les entreprises qui passent le critère d’exclusion doit désormais adhérer à une charte et s’engager à atteindre les critères du transi-score dans les 2 ans (avec un accompagnement de Noshaq).
Cette approche est déjà appliquée à tous les nouveaux dossiers et il est prévu de l’appliquer dans un deuxième temps aux dossiers existants, et progressivement aux filiales et fonds.
Quelques exceptions aux exclusions existent pour les entreprises actives dans les secteurs exclus : le développement d’un projet à impact ; être logé au sein d’un SPV ; avoir une gouvernance strictement encadrée par une convention d’actionnaires.
Le référentiel se veut pragmatique et orienté action. Calqué sur le nutriscore et incluant l’ensemble des critères ESG, il va de E (= exclusion) à A. Le point de départ de l’entreprise est le D et elle a 2 ans pour arriver au C (atteint par la majorité des entreprises). Noshaq ne dispose pas d’entreprises de niveau A actuellement (aux critères très élevés). Certains critères sont identiques et obligatoires pour tous, et d’autres sont laissés au libre choix des entreprises.
Retrouvez ci-dessous les présentations de la rencontre :
Le capital-investissement est-il compatible avec des objectifs non-financiers ? from LIEGE CREATIVE
Annonce
Le capital-investissement est généralement présenté dans la littérature scientifique comme une forme d’actionnariat supérieure aux marchés financiers, tant par sa vision plus long terme que par l’engagement réel des actionnaires dans la gouvernance d’entreprise, donnant lieu à de meilleures pratiques managériales.
Par conséquent, les fonds de capital-investissement semblent jouer un rôle-clé dans le financement de la transition durable des entreprises, dans lesquelles ils prennent des participations.
La littérature nuance néanmoins les impacts positifs sur l’innovation, la productivité et la profitabilité des entreprises, en pointant notamment des situations de stress et de dissatisfaction pour les employés, sous la pression des KPI's principalement financiers, ainsi que d’autres impacts négatifs sur les parties prenantes dans divers secteurs (éducation, santé, détails).
Au travers de son exposé, Marie Lambert exposera les preuves scientifiques actuelles sur l’impact du financement par capital à risque privé sur les politiques d’entreprise et présentera plus particulièrement les résultats d’une étude menée à HEC-Liège (ULiège) en collaboration avec l’Université d’Oxford.
Après cette mise en perspective académique, Douglas Geddes nous expliquera comment un fonds à ADN public comme Noshaq entend contribuer à la transformation du tissu économique liégeois avec un plan de transition. Tandis que les entreprises font face aux obligations environnementales, tout en se souciant du social et de la régulation de la gouvernance, une roadmap pratique s’impose pour avancer concrètement et de façon réaliste. Comment avancer pas à pas dans l’aventure qu’est la transition, sans greenwashing et avec des KPI’s qui ont du sens, sans perdre le focus sur son business ? Voici quelques questions sur lesquelles Douglas Geddes apportera un éclairage.