Orateur(s)
François Melard Professeur (Faculté des Sciences Sociales, ULiège)
Quentin Hiernaux Chercheur Qualifié du FNRS et Professeur de Philosophie (ULB)

Intégrer la complexité du vivant dans nos pratiques

En partenariat avec les Serres du Jardin Botanique
    Résumé

    Cette conférence, organisée en partenariat avec les Serres du Jardin Botanique de Liège, s’inscrivait dans la poursuite de notre conférence de lancement traitant de notre rapport au vivant et visait à aborder plus en détails, nos pratiques et la complexité de nos interactions avec les végétaux et les animaux.

    Quentin Hiernaux, Chercheur Qualifié du FNRS et Professeur de Philosophie à l’ULB, a démarré la rencontre par une perspective éthique sur le végétal. Il nous a partagé une expérience de pensée et une enquête qui mettent en évidence que nous éprouvons des intuitions morales pour les vivants, y compris les végétaux. Les végétaux occupent des fonctions utilitaires dans nos vies. Le poids des activités humaines sur la biosphère, les écosystèmes et la biodiversité est indéniable et ne peut dès lors pas être considéré comme moralement neutre. Le rapport au végétal doit donc pouvoir être pensé philosophiquement et éthiquement.

    Il a ensuite expliqué le rôle de la philosophie qui consiste à comprendre les rapports au vivant en Occident, et le rôle de l’éthique qui est de comprendre les conséquences de nos représentations sur nos actions et envisager des systèmes de valeurs différents.

    Les principes de la morale occidentale traditionnelle, dont nous avons hérités, sont centrés sur deux grands principes : les valeurs et les intérêts des humains seulement (anthropocentrisme) et le présent. 

    Pour les animaux, comme pour les végétaux, la valeur est uniquement instrumentale (vs la valeur intrinsèque et inaliénable de l’humain).

    Ainsi, jusqu'au 21ème siècle, le droit a reflété cette conception philosophique et morale selon laquelle seul le préjudice à autrui (un humain) est reconnu. Les animaux ne sont pas des sujets de droit et le préjudice écologique n’est pas reconnu.

    L’éthique de l’environnement, née dans les années 70 en réaction à l’impact systémique (nucléaire) et non durable de l’humain sur les êtres vivants et les écosystèmes de la planète, constitue une alternative à cette morale occidentale traditionnelle. Elle se définit selon deux dimensions principales étroitement liées :

    • La valeur intrinsèque (accordée aux êtres vivants et à leurs milieux) ;
    • La prise en compte des intérêts des générations futures.

    L’éthique de l’environnement n’est donc pas opposée à la morale traditionnelle mais elle est plus inclusive car non anthropocentrée. Elle défend une conception systémique selon laquelle les problèmes environnementaux et sociaux sont liés et doivent être traités conjointement.

    Quentin Hiernaux a terminé son intervention en donnant quelques exemples concrets au travers desquels se traduisent ces nouvelles pratiques dans le domaine de l’agroécologie, de l’arboriculture, de la gestion forestière, de la gestion patrimoniale et écosystémique des arbres remarquables et des dispositions juridiques y relatives, de la biologie de la conservation des espèces, du comportement des végétaux et de la biosémiotique, et de l’ouverture anthropologique dans d’autres cultures.

    François Mélard, Professeur à la Faculté des Sciences Sociales de l’ULiège, a ensuite partagé son point de vue sociologique, à travers une étude de cas traitant de nos rapports à la faune sauvage et de la cohabitation avec le castor, en particulier.

    L’argument qu’il souhaite défendre est le suivant ; s’intéresser au vivant c’est mettre en évidence et reconnaître les transformations progressives et conjointes des différentes parties-prenantes humaines et non-humaines.

    Aussi, François Mélard a souligné que l’on remarquait progressivement un passage de paradigme, d’une gestion par l’espèce (maîtrise de la Nature) vers un apprentissage des relations multiples (accompagnement du vivant).

    Pour la mise en contexte de son étude de cas, François Mélard a introduit une nouvelle conception selon laquelle le terrestre serait le produit d’une longue action des vivants qui ont eux-mêmes rendu habitable leur milieu (Lovelock & Margulis), ainsi que l’étude des zones critiques (= habitats des humains sur la planète) avec les spécificités et fragilités des fonds de vallée, et la difficile coexistence de l’humain avec la faune sauvage.

    Il a ensuite partagé les enseignements tirés du cas de la coexistence avec le castor, espèce protégée et excellent régulateur des fonds de vallée, mais animal néanmoins diabolisé pour les nuisances qu’il peut occasionner :

    • Rôle-clé de l'histoire dans les relations avec les castors;
    • Retour durable d'une espèce disparue dans des espaces colonisés par l'homme en son absence;
    • Passage de la gestion de l'espèce à la gestion de l'individu (localité);
    • Transformation de la posture et des pratiques des agents administratifs (de l'exploitation à la préservation des écosystèmes);
    • Promotion de la coexistence avec la faune = Acceptation de vivre dans la complexité du monde;
    • Réapprendre, autant par les citoyens que les autorités publiques et scientifiques, que les questions de nature sont aussi des questions de société.

    En conclusion, le « vivant » représente une source de surprises, de récalcitrances et aussi de (inter)dépendances (« tenir et être tenu »). Pour mieux cohabiter, des agencements entre humains et non-humains doivent être envisagés. Pour l’instant, les logiques humaines et non-humaines sont pensées séparément et il y a peu de transdisciplinarité.

    Lecture pour aller plus loin sur les zones critiques : « la Terre habitable » de Jérôme Gaillardet.

    Dans la poursuite de notre conférence de lancement portant sur notre rapport au vivant, nous proposons ce rendez-vous pour questionner nos pratiques à l’aune de la complexité du vivant.

    En effet, dans ces temps incertains, une remise en question de nos modes de vie et d’exploitation de la nature s’impose. Aussi, nous voyons dans une certaine littérature scientifique, un glissement de la notion conventionnelle de « Nature » vers celle du « vivant ». Nous n’interagissons plus avec une Nature, mais bien avec du vivant (dont nous faisons pleinement partie).

    Qu’est-ce que cela implique pour nos manières futures de cohabiter avec ce vivant dont nous dépendons ? Ne doit-on pas penser aussi nos rapports aux animaux et aux végétaux au-delà de leur seule dimension de ressource ou de leur utilité ? Passer d’une vision unilatéralement technicienne à une vision qui intègre davantage d'éthique ?

    Pour répondre à ces questions, nous nous pencherons sur nos relations et notre cohabitation avec deux ensembles du vivant : les végétaux et la faune sauvage.

    Cette rencontre-conférence sera l’occasion de découvrir les nouvelles pistes de réflexion et d’action qu’apportent l'éthique et le droit de l'environnement et du vivant, et d’aborder la complexité des interactions avec le vivant, à travers l’exemple de problèmes concrets. Car c’est en changeant de perspective que nous pourrons penser autrement et infléchir nos pratiques...