Orateur(s)
Grégoire Léonard Professeur (PEPs, Faculté des Sciences Appliquées, ULiège)
Jean Borlée Unit Manager Energy and Low-Impact Industry (CRM Group)

Capture du CO2 en Wallonie : potentiel et enjeux

    Résumé

    Cette conférence sur le potentiel et les enjeux de la capture du CO2 en Wallonie a débuté par l’intervention du Professeur Grégoire Léonard (PEPs, Faculté des Sciences Appliquées, ULiège) qui a d’abord rappelé le contexte global dans lequel s’inscrit la problématique des émissions de CO2, à commencer par le concept des limites planétaires. D’après le rapport du GIEC, à partir de 2020, nous avions un budget d’émissions maximales de 500 Gt de CO2 équivalent pour avoir 50% de chance de rester en dessous de 1,5 °C. Or en 2022, 85% de nos systèmes sont toujours alimentés par des énergies fossiles. On déséquilibre donc le cycle du carbone. C’est un défi de taille, surtout que la demande croissante en énergie est déjà un challenge. Grégoire Léonard a aussi rappelé la répartition des émissions de carbone en Belgique : 40% des émissions proviennent de l’industrie mais toute une série d’entreprises n’ont pas le choix de ne pas émettre de CO2, du fait de leur procédé

    Après avoir rappelé l’urgence et introduit la hauteur du défi de la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans une société basée sur les énergies fossiles, Grégoire Léonard a mis en évidence qu’avant d’en venir à des solutions pour diminuer les impacts négatifs, il s’agissait évidemment d’abord, de réduire cette demande énergétique (éviter), ensuite, de trouver des solutions renouvelables pour y répondre (substituer) et enfin, de développer des technologies pour traiter les émissions émises malgré tous les efforts (améliorer).

    Une entreprise a ainsi toute une série de choix à faire en termes d’énergie/d’émissions de CO2 et ces choix ne sont pas faciles car certaines solutions nécessitent de gros investissements. C’est dans ce cadre, qu’avec son service, il développe des outils pour une optimisation et une priorisation des solutions les plus adaptées. Le Professeur a donné l’exemple de l’industrie du verre en mettant en évidence comment leur analyse évalue les différentes solutions possibles en jouant sur plusieurs scénarios. Ces derniers font ressortir les technologies à privilégier (en fonction de différents facteurs, dont le coût du gaz naturel et du CO2, …).

    Le bassin liégeois regroupe beaucoup d’industries qui émettent du CO2 mais leurs tailles, conditions et contraintes sont assez diverses ; ce qui impose donc des solutions systématiquement « sur mesure ».

    Capturer du CO2 consiste à le traiter pour le séparer des autres gaz émis dans la cheminée. Il existe une grande variété de technologies permettant de séparer le CO2 : absorption, adsorption, cryogénie, membrane... La technologie la plus appropriée variera d’une industrie à une autre et dépendra de plusieurs facteurs (taille, conditions, etc.).

    Ainsi, l’équipe PEPs a développé un outil d’aide à la décision pour trouver la meilleure technique de capture CO2 selon la situation de l’entreprise sur base de critères économiques, techniques et environnementaux. Il attribue des valeurs à chacune des technologies possibles pour que l’entreprise puisse choisir en fonction des critères qui sont les plus importants pour elle (par exemple, l’espace que demande la technologie, son niveau de maturité…). L’outil se base sur une série de données et de simulations et sur la littérature.

    Pour réduire la distance entre modélisation et réalité, l’équipe de PEPs développe un projet plus expérimental : une unité pilote (en lien avec la chaufferie du Campus du Sart Tilman) qui sera :

    • Mobile (pour réaliser des tests dans plusieurs lieux)
    • Capable de capter 1T de CO2 par jour
    • Capable d’avoir des émissions négatives
    • Utilisée dans le cadre d’un nouveau master en Génie de l'Energie.

    Le chercheur a ensuite abordé la question de la valorisation du CO2 : que faire du CO2 capté ? C’est ici qu’entre en jeu le concept d’économie circulaire. La plateforme FRITCO2T étudie les différentes utilisations possibles du CO2 (sous forme de plastique, carburant...). Grégoire Léonard a présenté un cas dans l’aviation étudié par son équipe qui propose une approche pilote dans la conversion de CO2 en e-kérosène. Le but est de produire du carburant avec du CO2 capté (en passant par une phase d’électrolyse) et de fonctionner en boucle (en récupérant à nouveau le CO2 émis). Notons que des contraintes légales pourraient obliger les avions à voler avec du carburant contenant minimum 25% de kérosène synthétique à horizon 2050.

    En fin d’intervention, Grégoire Léonard a souligné que nous vivons dans une société basée sur le carbone et que nous continuerons à en utiliser. A ses yeux, mieux vaut diminuer notre dépendance aux énergies fossiles en utilisant un système circulaire que de chercher à décarboner la société à 100%. Grand et passionnant défi pour les ingénieurs …

    Jean Borlée, Unit Manager Energy and Low-Impact Industry (CRM Group), s’est, quant à lui, focalisé sur le projet SATURN. Il a commencé par présenter le projet HECO2 (Hydrogène, Électrification, capture CO2) dont SATURN fait partie, et les partenaires du projet (qui représentent 22% des émissions de CO2 de l’industrie wallonne).

    L’objectif du projet SATURN concerne les émissions fatales ou « difficiles à abattre » et les industries dont les émissions sont liées à des procédés chimiques. Le projet cherche à évaluer la faisabilité et le coût de l’implémentation de certaines technologies de capture du CO2 pour des partenaires industriels précis. Sur chaque site, il s’agit de :

    • Sélectionner à quel flux on va s’attaquer ;
    • Regarder ses spécificités (fluctuations, impuretés, composition, etc.) ;
    • Évaluer la performance des technologies
    • Étudier l’intégration de ces technologies
    • Évaluer le besoin d’une étape de purification supplémentaire et évaluer les coûts.

    Le projet est actuellement à mi-parcours. La caractérisation des émissions des différents sites a été faite (AGC, Carmeuse, APERAM et Prayon). Parmi les points d’attention, on peut relever :

    • L’influence de la fluctuation (un point important à travailler dans la suite) ;
    • Certains points d’émission inévitables comme en sidérurgie où elles sont liées au matériau travaillé ;
    • Les situations sont plus ou moins complexe en fonction du type d’industrie.

    Jean Borlée a ensuite présenté un tableau récapitulatif du travail de caractérisation effectué.

    Le consortium a également passé en revue toutes les technologies (au moins à l’échelle pilote) disponibles, pris des contacts et reçu des offres pour construire des pilotes dans le cadre du projet. Jean Borlée a détaillé les deux types de test/technologie qui ont été retenus :

    • La technologie conventionnelle d’absorption par une amine qui sera testée au CRM sur une installation pilote capable de simuler des conditions très proches de celles de l’industrie (début en septembre 2024, travail de modélisation en cours avec l’ULiège)
    • La technologie cryogénique (procédé d’antisublimation cryogénique) qui produit un CO2 très pur (directement sous pression) et qui consomme uniquement de l’électricité(alors que l’autre procédé nécessite de la vapeur ce que toute industrie n’a pas forcément). Le gros défaut de cette technologie, ce sont les investissements qu’elle demande. Un pilote mobile a été commandé par le CRM et il va permettre d’effectuer des tests sur les différents sites partenaires (en 2025-2026).

    Les étapes finales du projet seront de définir si une purification finale est nécessaire afin que le CO2 soit réinjecté dans le réseau FLUXYS. L’autre solution envisagée est d’exporter le CO2 pour qu’il soit stocké en Mer du nord.

    Jean Borlée a conclu son exposé en évoquant un autre projet du CRM qui concerne cette fois les technologies d’adsorption. Le CRM possède un four particulier, HUGE, qui permet de tester ce type de technologie.

    Les deux orateurs ont également précisé que leurs pilotes respectifs seront à la disposition des entreprises intéressées à horizon 2026.

    La capture du CO2 est une des options permettant de réduire les émissions atmosphériques de l’industrie. Pour certaines émissions industrielles, qualifiées de « fatales » ou « hard-to-abate », c’est d’ailleurs la seule option possible pour atteindre les objectifs imposés par l'Union Européenne. Cependant, la capture de CO2 recouvre en réalité un vaste panel de technologies dont l'implémentation se révèle souvent complexe, coûteuse, et très dépendante du procédé industriel concerné.

    Dans le cadre du plan de relance européen et spécifiquement du projet HECO2 SATURN, quatre industriels wallons, AGC, PRAYON, APERAM et CARMEUSE, se sont associés au CRM Group, à l’Université de Liège et à un consortium de partenaires pour tester la faisabilité et les coûts réels de la capture du CO2 dans leurs installations.

    Cette conférence sera l’occasion de faire le point sur les résultats actuels, notamment les outils développés, les solutions et technologies privilégiées par les partenaires du projet, ainsi que sur les essais industriels à venir.