Argent et culture : un tabou ?
Résumé
Jean-Gilles Lowies a introduit sa conférence en abordant la valeur de la culture.
Il a rappelé un schéma de pensée très présent, lorsque l’on aborde la problématique de la culture sous l’angle économique : l’artiste est celui qui s’extrait des contingences matérielles et économiques pour s’exprimer. Or, on le sait aussi, de nombreuses approches considèrent, inversement, que la culture contribue, au contraire, au développement économique.
Cette tension entre l’aspect intrinsèque et la valeur extrinsèque de la culture colore toute considération de la culture et des politiques qui l’entourent.
La culture n’est pas un bloc monolithique. Elle fait référence à des réalités et des modèles extrêmement divers qui ne peuvent qu’orienter vers des visions différentes de mise en œuvre de politiques culturelles.
Pendant longtemps marquée par la loi de Baumol et Bowen selon laquelle le secteur culturel souffrirait d’une «maladie du coût» (ne pouvant être rentable), la culture a été considérée comme devant nécessairement bénéficier du soutien économique. Et ce, jusqu’à ce qu’un autre courant de pensée influe le point de vue de la sorte : c’est parce que la culture génère des retombées économiques que les pouvoirs publics doivent soutenir la culture. Ce renversement pose évidemment beaucoup de questions. En effet, selon ce principe, l’état ne devrait-il donc plus intervenir dans une culture dite d’économie de prototype (non rentable) ?
Autre approche largement répandue et qui instrumentaliserait la culture, la théorie de Florida selon laquelle les villes qui investissent dans la culture et la créativité développeraient une forte attractivité. Mais… autre remise en question de cette affirmation, issue du milieu académique : ce sont au contraire les villes riches qui pourraient se permettre de redistribuer cette richesse aux artistes et créatifs…
On le voit que les points de vue s’opposent souvent lorsqu’il s’agit de considérer la valeur de la culture…
Quid du poids économique du secteur culturel et créatif ? Toutes les études montrent que la culture contribue à l’économie au sens large. Mais Jean-Gilles Lowies nous met en garde : de façon générale, ces études sont à relativiser. Leurs chiffres englobent en effet souvent des données issues par ex. du design ou de la mode (Ikéa et H&M pour ne citer qu’eux…).
Concernant la question de savoir si les soutiens publics sont plutôt à la hausse ou à la baisse en Belgique, Jean-Gilles Lowies évoque plutôt une stagnation (les subventions ne tenant pas compte de l’inflation). Et à cet égard, la Belgique serait dans la moyenne (2, 6 milliards d’Euros/an)
Comment distribuer les subventions dans le secteur culturel ? Le ruissellement (selon lequel il y aurait des retombées en cascade) est-il une solution ? Le saupoudrage (pour contenter tout le monde) serait-il meilleur ? La Belgique comme beaucoup de pays aurait opté pour la régulation en imposant une série de cadres et exigences aux différentes institutions soutenues (notamment via le dispositif des contrats-programmes).
Et notre orateur d’évoquer 4 pistes qui pourraient guider une politique publique pertinente en matière de culture : la durabilité, la coordination, la concentration et le décloisonnement.
Après cet état de l’art relatif au financement public de la culture, notre orateur a évoqué la frontière mouvante entre argent public et argent privé pour soutenir la culture. On voit en effet poindre de nouveaux modes de financement tels que le crowdfunding, le tax-shelter, le mécénat…Différents dispositifs présentant leurs avantages et leurs limites.
A l’issue de la rencontre, différents acteurs du secteur culturel ont eu l’occasion de partager leur expérience ou questionnement. Une préoccupation sera notamment apparue centrale dans les échanges, celle d’une politique de soutien qui prenne en compte les emplois.
L’on aura pu constater, au vu des échanges, que selon la face que l’on aborde au sujet d’un dispositif (tel que le tax shelter ou le crowdfunding), il est possible d’en dégager les effets pervers ou au contraire… positifs ! Argent et culture… un vaste débat.
Retrouvez les slides ci-dessous.
Argent et culture : un tabou? | LIEGE CREATIVE, 26.04.18 from LIEGE CREATIVE
Annonce
La culture n’a pas de prix mais elle a un coût…
Difficile d’en parler alors que la valeur de la culture excède largement les questions d’argent? Et pourtant, les discours fleurissent pour affirmer que la culture génère de la richesse et participe au développement des économies nationales, régionales ou urbaines.
La gratuité semble être le must des politiques culturelles, mais existe-t-elle vraiment?
La frontière entre argent public et privé est-elle en train de s’estomper, et à quel prix? Quels sont les enjeux économiques d’une culture numérique globalisée?
Les artistes voient-ils la couleur de l’argent culturel? Nous évoquerons ces quelques questions mêlant argent et culture… sans tabou.